Contextes de communication : entre français et sénégalais. Les règles de tenue en public, une régulation culturelle
- Maimouna Dione
- 25 mai
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 juin
Une première étape pour construire votre intelligence interculturelle entre Dakar et Paris
Par Dr Ndèye Niokhor GNING
Il est fascinant de voir comment la culture organise les moindres faits des rencontres sociales. Entreprises, restaurants, cafés, cinémas, marchés, cérémonies, etc. Rien n’a été oublié. Dans les transports en public l’observation de ce phénomène social est plus spectaculaire. Si la société institue des règles de vie communes sous forme de canevas et de catalogues, ce sont ses membres, interprètes des rôles sociaux qui leur donnent vie. Voyons entre Paris et Dakar, comment les individus se tiennent dans les transports en commun.
Les bulles individuelles :
Sur les quais, dans les métros, bus ou tout transport en commun, les parisiens créent leur propre espace personnel, chaque individu détient « sa bulle ». Le contexte de mise côte à côte des individus n’inclut aucunement la conversation, les salutations encore moins.
Ainsi, pour occuper son temps pendant le trajet, soit on a à bord un journal, un ouvrage, un smartphone, des écouteurs, sans ces éléments, on pose son regard sur la fenêtre, un espace vide ou on attrape un coup de cinq à dix minutes de sommeil. Depuis son siège, le temps d’un trajet, on occupe le l’œil, le temps et l’esprit. Les règles de sociabilités collectives « interdisent » de regarder son voisin, si ce n’est qu'accidentellement. Le regard insistant est signe d’indiscrétion voire signifie le fait d’épier ou de violer l’espace privé de son voisin. Les règles de bonne politesse veulent que chacun se mêle de ce qui lui regarde !

Autre part, des conversations sont entamées par des voyageurs montés ensemble. Le rythme de la conversation, le ton de la voix, les éclats de rire ne sont pas « contrôlés ». Dans les limites imposées par le système, chaque individu est libre de ses actes et pensées. Dans la mesure où « je » suis dans « mon » espace « privé », « je » suis alors libre de « mes » gestes. Il en est de même dans les cafés, les restaurants, les cafétérias d’étudiants…
Il n’est donc pas étonnant de voir que chacun se libère dans son espace, en ouvrant son sac pour chercher un miroir en ne le refermant pas, car le voisin fera tout pour ne pas jeter un regard dans « tes » affaires. Quelque fois on se maquille, les effets de base de la toilette sont emportés et utilisés depuis son siège, certaines même en profiteront pour se faire une petite manicure. La liberté dont chacun jouit de son espace dans les transports en commun, est fonction des bonnes manières sociales mais surtout de "règlements intérieurs" des espaces sociaux. En effet, dans un contexte français, on évalue les règles (lois, codes de conduite) qui s’appliquent au contexte, jusqu’où je peux conduire mes actes pour donner un poids et un intervalle à ma liberté d’expression.
Au Sénégal, ce sont les règles sociales et religieuses qui jouent ce rôle. Les individus règlent et régulent leurs comportements via les sanctions sociales et morales, la loi intervient quand les règles sociales et religieuses échouent.
Le rythme de la vie :
Au niveau des gares, ce qu’un sénégalais appellerait une « course matinale » est le rythme de vie des français. La marche en effet est toujours en mode accéléré et ce n’est pas du tout bizarre, c'est même normal. Ce qui serait signe de situation alarmante dans un contexte sénégalais signalant la présence d’un vol ou de malfaiteurs, ne l’est guère à Paris. On peut voir des passagers courir à vive allure juste pour rattraper un train, un métro, car très souvent le format « calculé » de la vie quotidienne fait qu’on arrive juste à temps pour rattraper le prochain transport qui nous amène à destination.
La vie est ainsi une feuille de route d’horaires. Tout est calculé, précisé et fixé à l’avance. Même l’imprévu a des mesures prévues. On prévient afin de ne pas être surpris.
Par exemple, la suppression d’un train de 23h du soir sera annoncée à 10h du matin, voir même le jour d’avant, en tout cas plutôt afin de donner de nouveaux itinéraires aux passagers.
Les français vivent et évoluent dans des environnements structurés, fortement détaillés. Le passage dans les gares est bordé de flèches indicatives de la voie à prendre, de cartes pour se guider et les itinéraires sont affichés. Tout est détaillé de sorte à ce que « personne ne pose de question (s) à personne ». Dans les cas d’exception, des services sont mis à disposition ou des applications développées à cet effet.
Comme on peut connaitre à l’avance les horaires de passage des différents transports que l’on emprunte ainsi que le croisement des différents moyens de transports, chaque individu imprime et connait par cœur le chemin à prendre pour se déplacer, calcule à peu près le nombre de minutes à faire pour arriver à destination. Ainsi dans la rue chacun dispose d’une autonomie singulière.
Les bulles collectives :
Au Sénégal, l’environnement des transports en commun est fortement non structuré. Quand un bus passe, on n’est jamais sûr de quand le prochain va passer.
Les horaires sont fixés depuis le lieu de départ des transports par les managers des cars, mais non communiqués aux passagers. Les individus ont donc appris à se déplacer via la communication par réseaux. C’est avec l’habitude et la routine que l’on comprend la route, que l’on connait et maitrise les itinéraires des bus et tatas (moyens de transports en commun les plus fréquemment utilisés à Dakar). Une sorte de GPS que chacun se crée dans sa tête pour savoir comment se déplacer, quel transport prendre pour arriver à temps à destination. Il n’est donc pas étonnant que les individus soient en retard à leurs lieux de travail ou rendez-vous.
Par conséquent, pour parer à toutes les éventualités, les individus se créent des « issues de secours » en prenant les autres types de transport en commun comme les ndiaga ndiaye, les cars rapides, les clandos; ces derniers sont des voitures de 4 places transformées en covoiturage moyennant de petites sommes entre 100 FCFA et 300 FCFA par passager.

Là où la bousculade pour entrer dans un transport en commun est un acte mal poli, à Dakar, aux heures de pointe surtout, les citadins ont l’habitude de se bousculer pour se faire une place à l’intérieur. On glisse les sacs par la fenêtre d’un bus ou d’un ndiaga ndiaye pour se réserver une place, on se marche dessus, personne n’y porte un semblant d’intérêt, dès lors que chacun a le même objectif : avoir une place et partir. Même si certains modes de transport comme les bus de l’Etat, les Dakar Dem Dikk alias DDD ont instauré quelque règle pour établir une discipline dans la montée des transports.
A l’intérieur des transports en commun, il est bien apprécié que lorsqu’un individu entre dans un bus, un tata ou tout autre car, qu’il salue collectivement les passagers trouvés à bord. Cet acte commence même dès l’arrivée dans un arrêt de cars. Les salutations adressées aux personnes que l’on connait et que l’on ne connait pas sont très présentes dans un contexte sénégalais. Dans un contexte français où l’inconnu ne fait pas partie de la vie, au Sénégal, l’autre compte même si on vient de le rencontrer et plus important son regard aussi.
Le contrôle de ses affaires privées, une affaire publique :
Si le regard de certains passagers vagabonde de l’intérieur du transport aux vitres donnant au paysage du trajet, on n’est jamais à l’abri du regard de son voisin debout ou assis à côté quand on lit son journal, entre dans sa messagerie ou sa galerie photos. Lorsque l’on lit son journal, un voisin de l’autre côté peut emprunter le journal et lire à son tour, il y’en a même qui iront jusqu’à jouer aux jeux de mots fléchés qui s’y trouvent en demandant la permission au propriétaire. Pour ne pas paraître « égoïste » ou « méchant » et espérer être bien vu, le propriétaire accepte quand même malgré tout.
Un regard pouvant passer pour intrusif dans un autre contexte culturel, déplacé et impoli, ne gêne pas certains passagers dakarois. On n’hésite pas à lire en même temps les messages contenus sur le téléphone du voisin, à glousser de rire, à émettre des mimiques au fur et à mesure que l'on partage le visu du téléphone « avec » son voisin. Car dans ce contexte, les modes de sociabilité en public sont communautaires. On fait alors attention à ne pas entrer dans toutes ses « applis » de peur de rendre « public » ses affaires privées. Même si ce genre d’intrusion n’est pas aimé de la société.
Par ailleurs pour les jeunes femmes, il peut arriver de sortir un petit miroir histoire de bien s’assurer de sa mine. On peut ainsi se rectifier un peu le maquillage, se réarranger la coiffure mais cela ne dure que quelques minutes, le prolonger est un acte mal vu en public.
Il est impressionnant et intéressant à la fois de constater comment la déviance culturelle est devenue à des égards une habitude, une banalité et finalement une norme sociale. Les actes qui sont dépréciés par la société sénégalaise par exemple sont quand même commis par ses membres, si bien qu’ils mènent leurs propres lois au point de renverser le corpus social de base.
Si la culture en se créant, évolue, se transforme et se modifie, c’est en comptant sur ses audacieux membres qui n’hésitent pas à porter les étiquettes sociales contribuant par là à défier les lois d’organisation de certains aspects de la vie et peut être même à les faire changer.
Sources : carnets de récits de voyage entre Paris et Dakar
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